Ce projet, né dans la région Rhône-Alpes, part de la volonté d’un groupe de transporteurs routiers de marchandises de vouloir pérenniser la profession en l’inscrivant dans une perspective d’avenir c’est-à-dire en misant sur un nouveau carburant dans le cadre d’une économie territorialisée.
1. L’origine du projet
La genèse du projet émane de 4 PME (Magnin, Megevand, Prabel et Sotradel) rejointes par deux grands groupes (Jacky Perrenot et Transalliance). Ces transporteurs ont jugé nécessaire, sous peine d’asphyxie et d’une mort annoncée, de trouver d’autres perspectives pour le transport routier marchandises.
Ce projet a vu le jour pour des raisons internes à la profession, mais le cadre polémique de la vallée de l’Arve, en critiquant le gazole, a contribué à favoriser l’idée d’un changement de carburant.
Depuis de très nombreuses années, la profession des transporteurs routiers de marchandise connaît de grosses difficultés. Souvent tentés de tout abandonner, les transporteurs sont allés au bout de toutes les économies qu’il était possible de faire (la marge nette dépasse rarement 1 %). Effectivement, le contexte économique et règlementaire est très contraint en raison de :
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la hausse continue et sans visibilité du prix du gazole sur le long terme ;
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la mise en place de nouvelles taxes et restrictions de circulation pour maîtriser la pollution de l’air ;
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la pression sur les prix de vente des prestations en raison d’une concurrence exacerbée ;
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la hausse continue des coûts de transport pour les chargeurs (donneurs d’ordre) et de celle liée à la détention des matériels, sans gains probants au niveau du coût d’usage.
Donc, pour améliorer sa rentabilité, ce groupe de transporteurs a identifié deux solutions :
- soit réduire la masse salariale qui représente entre 27 et 40 % du coût total d’exploitation, par un appel à de la main-d’œuvre low cost (personnel détaché) ;
- soit réduire la dépense énergétique représentant entre 18 et 30 % du coût total d’exploitation, (à condition de changer l’énergie utilisée). La solution n° 1 n’était pas acceptable par les entreprises du projet (leur valeur réside avant tout dans leur personnel), et la seconde n’avait que très peu été explorée par le secteur.
Localement, dans la vallée de l’Arve, les transporteurs étaient montrés du doigt par un certain nombre d’habitants qui rendaient le transport routier de marchandise, à tort ou à raison, responsable de la mauvaise qualité de l’air dans la vallée. Cette accusation avait justifié la mise en œuvre, dès les années 2000, de l’étude POVA (Pollution dans les Vallées Alpines), entreprise dans le cadre du programme Primequal, au moment de la fermeture du tunnel du mont Blanc, pour montrer l’impact de la circulation routière sur la qualité de l’air de la vallée de l’Arve. Les résultats de cette étude, consolidés depuis par d’autres travaux présentés dans le chapitre sur les innovations dans la vallée de l’Arve, avaient identifié le lien entre les niveaux de particules et le chauffage au bois ; la mise en œuvre du Fonds air-bois, au 1er janvier 2015, avait pour objectif de limiter ces émissions de particules. Certes le trafic routier a aussi sa part de responsabilité, et des études sont en cours pour préciser quelle est la part des poids lourds, des véhicules utilitaires légers et des voitures particulières dans les émissions de particules nocives pour les habitants. Le transport routier de marchandise ne consomme que 20 % du gazole en France, il ne peut être à l’origine de l’ensemble des émissions de carbone suie. Il est clair qu’en dépit des technologies de plus en plus performantes pénétrant progressivement le marché (normes Euro 6), l’utilisation du carburant diesel a sa part de responsabilité dans la présence de polluants délétères. Les transporteurs se sont sentis interpellés et ont réalisé que le diesel n’était peut-être pas une solution d’avenir. Plutôt que de polémiquer sur la responsabilité partagée du chauffage et de la route, quelques transporteurs du projet ont envisagé, encouragés par le dispositif du PPA (Plan de Protection de l’Atmosphère) de la vallée de l’Arve, la possibilité de s’appuyer sur ce démonstrateur (le PPA de la vallée de l’Arve est le premier déployé à grande échelle) pour convaincre les autorités et les collectivités locales de soutenir leur démarche prospective.
De nombreux facteurs sont susceptibles de discréditer, sur le long terme, l’usage du diesel :
La pollution atmosphérique est, bien sûr, l’élément majeur qui hypothèque l’utilisation du gazole mais ce n’est pas le seul : la maîtrise du changement climatique a pour corollaire une tendance, mondialement partagée, à la décarbonation de l’économie, qui risque de se traduire, sur le long terme, par la hausse régulière du prix du carbone pour limiter l’usage des énergies fossiles. La hausse du prix du gazole est donc programmée en dépit des fluctuations passagères des prix à la pompe. D’ailleurs, la volatilité des prix à court terme pèse peu sur le budget des transporteurs, qui font porter en grande partie ces variations par leurs clients à la faveur de contrats intégrant obligatoirement une « clause gazole ».
Les pétroliers eux-mêmes ne sont pas prêts à faire la promotion du gazole puisque le parc de raffineries français était plutôt adapté à la production d’essence dont la surproduction ne peut plus être envoyée aux USA puisque ce pays est devenu autonome sur le plan énergétique. La France doit donc importer le fuel, qui pèse lourdement dans la balance commerciale (I. Roussel, L. Charles1, 2013).
2. Le projet équilibre ou le choix d’un nouveau carburant
Le parti pris par le projet consiste à miser sur un nouveau carburant susceptible de répondre à la problématique, avant tout économique, des transporteurs en s’appuyant sur les principes du « développement soutenable », gage de pérennité de leur choix. À la faveur d’une communication du groupe Volvo, en 2010, le Gaz Naturel Véhicule (GNV) est très vite apparu comme une solution intéressante.
Pourquoi ce choix du GNV ?
Le GNV est une technologie mature, disponible et impactant a priori peu les conditions d’exploitation des entreprises de transport, avec toutefois, des zones d’ombre qu’il est nécessaire d’explorer.
La rupture n’est pas technologique, mais d’ordre stratégique en termes de positionnement pour la profession, et donc semble accessible rapidement.
Pour ne reprendre qu’un seul point technique, les transporteurs découvrent une motorisation qui, au contraire de la solution diesel Euro VI, fait appel à un système de dépollution simple (catalyseur 3 voies), n’entraînant plus l’usage d’urée pour réduire la production d’oxydes d’azote (Nox) et, aux dires des constructeurs, est encore plus efficace en termes d’émissions de polluant (30 à 70 % de NOx en moins qu’un diesel Euro VI) et moins émetteur de Gaz à Effet de Serre (de 8 à 15 % avec du méthane d’origine fossile et jusqu’à 90 % avec du biométhane).
Le GNV peut être distribué sous deux formes : compressé depuis les réseaux de distribution de gaz naturel ou liquéfié tel qu’il arrive dans les méthaniers. Sous les deux formes, on trouve la version fossile ou la version renouvelable : méthane épuré pour n’obtenir que du CH4.
L’approvisionnement en GNV est sûr puisqu’il peut provenir de nombreux pays, ce qui permet de diversifier les sources, mais il peut également être produit par des procédés de méthanisation à partir de la biomasse ou de méthanation (procédé de conversion catalytique du dihydrogène (H2) et du monoxyde de carbone (CO), ou du dioxyde de carbone (CO2) en méthane) encore très marginal à ce jour mais possible.
Le groupement Équilibre a donc identifié le Gaz Naturel Véhicule comme ayant une perspective d’évolution plus intéressante que l’énergie actuelle, en raison de sa pluralité d’approvisionnement (fossile, méthanisation et méthanation), de son plus faible impact écologique, de son relatif attrait en termes de coût d’achat.
Toutefois, de nombreux obstacles restent à franchir
En effet, même si la question de la ressource paraît revêtir un avenir prometteur, plusieurs craintes devaient être surmontées :
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la méconnaissance de cette énergie et des craintes sécuritaires ;
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l’absence de réseau de distribution de GNV développé et de matériel routier performant ;
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la peur du changement, l’absence de maîtrise des nouvelles conditions d’exploitation ;
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l’incertitude sur la fiscalité ;
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et le surcoût à l’acquisition des matériels roulant.
Tout en étant volontaires, les transporteurs veulent toutefois s’assurer de prendre les bonnes décisions, dans des conditions économiques relativement contrôlées, avec l’appui d’organismes scientifiques et les services de l’État.
Ce projet, en ne présentant pas une rentabilité immédiate, s’intègre nécessairement dans un modèle économique pluripartite à construire.
L’idée des transporteurs a trouvé à s’exprimer, grâce à l’appui du Cluster Logistique Rhône-Alpes, autour de la construction d’un projet collaboratif, suivant trois étapes :
- mise en œuvre d’un démonstrateur en conditions réelles d’exploitation ;
- modélisation de l’usage des camions ;
- projection des bénéfices pour toutes les parties prenantes (transporteurs, collectivités locales, État et, bien entendu, population).
La faisabilité d’un nouveau modèle économique
Il est clair que les transporteurs seuls ne peuvent porter cette orientation stratégique, qui s’inscrit dans la construction générale de la société post-carbone.
L’ADEME régionale a parfaitement compris cette problématique et a décidé de soutenir les porteurs du projet suivant deux axes : tout d’abord, en étant moteur au niveau du financement du projet, et ensuite, en imaginant un dispositif novateur pour initier la transition énergétique (et son corollaire, la réduction de la pollution) au niveau du TRM.
3. L’action GNVolontaire en Rhône-Alpes : un dispositif innovant pour soutenir une filière naissante
La faisabilité de ce dispositif a d’abord été testée à l’échelle de la région Rhône-Alpes pour ensuite pouvoir être exportée et ainsi pérennisée dans la durée. C’est ainsi que la délégation de l’ADEME Rhône-Alpes a porté ce projet comme méritant un investissement au titre des projets d’avenir pouvant intéresser non seulement les transporteurs mais la société tout entière à travers les collectivités territoriales, les chercheurs et les énergéticiens. Ce projet représente donc un pari pour préserver l’avenir des transporteurs à travers le développement éventuel de cette filière GNV présentant des retombées territoriales intéressantes.
Le point de départ de ce projet se situe dans la vallée de l’Arve, grâce aux actions d’accompagnement mises en place pour améliorer la qualité de l’air. Ces actions ont débuté par la création du fonds de soutien pour l’implantation de stations de GNV, système imaginé grâce au PPA de la vallée de l’Arve en décembre 2013. Dans cette vallée, en dépit de la constitution d’un « fonds chaleur » destiné à limiter la pollution liée au chauffage au bois, les transporteurs continuent à être montrés du doigt. D’où l’idée, dans le cadre du PPA, de mettre en place un fonds de soutien au GNV. 225 000 € ont donc été mis sur la table par la puissance publique pour soutenir le GNV, avec l’espoir d’attirer plus de 2 M€ d’investissements privés.
Le caractère tripartite des consortiums à construire
Ce pari pris par les transporteurs, avec la perspective d’un bénéfice sanitaire pour la population et d’un rejet moindre en CO2 bénéfique pour le climat, est soutenu par les collectivités locales, par l’État et par un énergéticien.
- La profession (le TRM) a pour mission d’appréhender rapidement quels sont les véritables coûts, les contraintes d’exploitations, les avantages de la motorisation GNV, et les meilleurs usages possibles pour optimiser cette nouvelle technologie. Avoir la maîtrise de l’énergie utilisée pour pouvoir l’adapter aux flux à prendre en charge, est un enjeu stratégique pour le secteur (transport pour compte d’autrui et pour compte propre). Cet investissement suppose, de la part de la profession, de constituer un consortium entre des utilisateurs de véhicules lourds de plus de 3,5 t. pour le transport des marchandises ou de voyageurs en utilisant le GNV comme carburant.
- Pour les collectivités, le projet apporte une meilleure connaissance des avantages du GNV sur le front de la pollution et de la réduction des gaz à effet de serre, mais surtout cette orientation permet d’évaluer un potentiel de développement de production d’énergie locale sur leur territoire, avec le biométhane-carburant. Or les collectivités, de plus en plus conscientes du rôle qu’elles peuvent jouer sur l’énergie, sont souvent prêtes à faciliter les expérimentations. C’est la même logique que celle qui a été déployée pour mettre en place le PDU de Grenoble (J. Wiart, 20162).
La subvention publique est accordée aux utilisateurs. Les collectivités, propriétaires de véhicules, sont donc intéressées par l’utilisation du GNV dans leur flotte, de manière à utiliser le biométhane produit par les stations d’épuration ou par la méthanisation des biodéchets. Les collectivités qui, à partir de leur station d’épuration, réfléchissent à la production de biométhane, peuvent s’investir dans ce projet, qui ne concerne pas seulement les villes. Cette expérience peut intéresser tous les territoires soucieux de produire et d’utiliser leur propre énergie à partir des déchets agricoles, par exemple.
L’utilisation du biométhane présente l’avantage d’être exempté de la taxe carbone car il s’intègre dans la spirale vertueuse de l’économie circulaire.
Les perspectives de développement de la méthanation peuvent aussi intéresser les chercheurs pour produire du gaz de synthèse à partir de l’hydrogène et du surplus de la production électrique. Cette production peut contribuer à satisfaire, le cas échéant, un besoin local et éviter l’importation de méthane, abondant par ailleurs. En revanche, il est tout à fait important pour le projet d’intéresser les scientifiques et les chercheurs, de manière à évaluer précisément les rejets puisqu’il s’agit, actuellement, d’un sujet sensible sur lequel les transporteurs se doivent d’être transparents.
- L’intérêt de l’État consiste précisément à encourager une alternative au gazole pour atténuer les rejets induits par le transport routier, encouragé par ailleurs.
Pour justifier, pérenniser et généraliser le Fonds de Soutien GNV accordé à la vallée de l’Arve, le MEEM doit justifier l’effet levier de l’argent public investi dans le dispositif, en démontrant qu’avec un euro public, 9 euros privés peuvent être investis.
Le MEEM, en s’appuyant sur un collège d’experts, doit montrer la fiabilité du dispositif en termes de diminution des polluants et des GES.
Le respect des normes est garanti par un quatrième pôle du consortium, les scientifiques qui cherchent à mesurer les émissions. Depuis l’affaire Volkwagen, il convient d’être exemplaire sur le respect des normes, ce que les poids lourds ont toujours fait ; cependant, l’obligation pour le véhicule qui atteint 750 000 Km de respecter encore 85 % des performances d’origine, est difficile à respecter.
La profession veut s’engager à suivre les émissions de NOx « dans la vraie vie » à l’aide de capteurs embarqués pouvant détailler les émissions en fonction du mode de conduite, de la topographie, du trafic, etc. Les transporteurs, en faisant preuve dès le début de transparence, souhaitent donner un cadre fiable à l’utilisation du GNV. Le projet Équilibre veut afficher des réponses incontestables, par la mise en place d’une méthode scientifique, validée par le pôle de compétitivité LUTB Transport & Mobility Systems. C’est la seule solution pour démontrer l’utilité publique du GNV, moins polluant que le gazole, tout en dégageant moins de CO2. Des sondes sont embarquées dans le véhicule pour mesurer les NOx, les particules et le CO2 en continu grâce à l’apport de l’expérience d’un des prestataires du projet, le CRMT de Dardilly.
Un cinquième pôle a intégré le consortium, un énergéticien, ENGIE, qui s’engage à faciliter l’implantation des stations d’avitaillement. La présence d’un énergéticien est essentielle pour faciliter l’installation des points de distribution. Dans le cadre de l’expérimentation, le distributeur de GNV construit 3 stations PL (St-Pierre-en-Faucigny, Nîmes et Lyon).
Un des objectifs du projet est d’identifier la demande en termes de production de biométhane local, de manière à envoyer un message clair aux producteurs actuels ou potentiels.
Figure 1. La chaîne d’évaluation des émissions.
Conclusion
La définition d’un nouveau modèle économique basé sur un partenariat gagnant-gagnant (entre donneurs d’ordre et prestataires de transport), la prise en compte des conditions environnementales (au sens large) et l’acceptation par les entreprises de TRM, ainsi que la collectivité, d’entrer dans un processus « investissement-évolution » en retour de « compensation », est l’objectif principal du projet.
Il s’appuie pour cela sur une étude scientifique de recherche des cas d’usages de poids lourds, en conditions réelles d’exploitation, et de solutions transversales à la problématique.
Le TRM répond à un besoin primaire (sans échanges de biens, pas de commerce et donc pas d’économie). Il a, depuis l’entrée en vigueur des normes Euro, largement réduit les niveaux d’émission directe des polluants ; pour autant, avec le GNV, il peut aller encore plus loin, dans le sens de l’intérêt général.
Toutes les actions engagées en région ont pour objectif de favoriser l’émergence d’une nouvelle filière, en pensant que les solutions pour l’avenir ne peuvent se trouver dans le passé. Pour cela, il mobilise de l’argent public pour initier ce processus qui doit être vertueux en termes de qualité de l’air. Il s’appuie sur les principes de l’économie circulaire en misant sur l’utilisation du biométhane produit localement pour faire émerger un écosystème global de circuit court avec des impacts sanitaires réduits et une logique territoriale. Il fait le pari que cette filière, en s’affirmant, va intéresser les constructeurs et même les producteurs de biométhane qui peuvent encore faire baisser les prix. Cet écosystème, adapté à des « niches » territoriales désireuses d’écouler leur production locale de biogaz, peut-elle être généralisée et créer une véritable filière ?