I. — Introduction
Le « Strunien », qui correspond au sommet du Famennien (Dévonien supérieur), a été classiquement subdivisé en Strunien schisteux, gréseux et calcaire (Conil, 1964). Le présent travail est consacré au Strunien calcaire ou Formation du Calcaire d'Etrœungt.
1) Historique : la Formation du Calcaire d'Etrœungt (Etrœungt Limestone Formation)
Pour l'aspect historique on consultera avec profit, notamment les travaux de Dehée (1929), Conil (1964), Sartenaer & Mamet (1964), Mamet et al. (1965), Groessens (1989, 2006), Conil et al. (1974) et Streel et al. (2006).
De très nombreux auteurs, depuis plus d'un siècle et demi (plus de 150 publications), ont décrit ou simplement évoqué dans leurs travaux les terrains calcaires qui affleurent en France dans l'Avesnois, dans les régions d'Etrœungt et d'Avesnes- sur-Helpe. D'Omalius d'Halloy (1839) avait déjà reconnu en Belgique des terrains similaires, cités par Gosselet (1857, p. 373). Mais bien souvent des dénominations extrêmement diverses ont été employées, comme l'ont d'ailleurs déjà souligné à juste titre Sartenaer & Mamet (1964) : Calcaire d'Etrœungt, Calcaires de la zone d'Etrœungt, Calcaire et schistes d'Etrœungt, Calcaire siliceux d'Etrœungt, Bancs calcaires de transition, Schistes et calcaires d'Etrœungt, Couches d'Etrœungt, Terme de transition, Zone de Transition, Zone de passage, Niveau de passage, Formation de passage, Assise d'Etrœungt, Sous-assise d'Etrœungt, Sous-assise des calcaires, macignos et psammites, Zone d'Etrœungt, Zone à Spirifer strunianus, Schistes noirs à nodules calcaires, Assise des schistes noirs avec quelques bancs calcaires, Schistes et lentilles calcaires de l'Orient, Formation d'Etrœungt, Strunien calcaire, etc., en y adjoignant parfois leurs équivalents en Belgique : Calcaire, macigno et psammite d'Etrœungt et de Comblain-au-Pont, Assise d'Etrœungt et de Comblain-au-Pont, Zone de Comblain-au-Pont. Toutefois, à la lecture de ces nombreuses publications, il apparaît que bien souvent et pendant longtemps une confusion et/ou une imprécision ont existé entre les notions de litho-, de chrono- et de biostratigraphie, ce que Sartenaer & Mamet (1964) ont d'ailleurs déjà signalé. Cependant et notamment dans les travaux les plus récents, la distinction est clairement précisée entre ce qui relève de ces trois approches complémentaires mais distinctes (Bouckaert et al., 1970, Hance & Poty, 2006).
Dans ce travail, il sera exclusivement question de l'approche lithologique :
Historiquement la coupe de la carrière du Parcq (Fig. 1) à Etrœungt, Avesnois (Nord, France), complétée par celle de la carrière Jean-Pierre toute proche, a été décrite par Gosselet (1857) puis désignée par celui-ci comme coupe type (Gosselet 1860). Malheureusement la base tout comme le sommet de l'ensemble calcaire, ne sont pas visibles dans ces affleurements qui, tout en conservant un intérêt historique comme coupe de référence, doivent être complétés par un parastratotype.
La coupe de la tranchée d'Avesnelles (Fig. 1) a été désignée comme parastratotype par Conil (1964) ; elle présente un affleurement presque continu de la série (Strunien et base du Carbonifère) ; toutefois, outre quelques lacunes mineures, la limite Dévonien-Carbonifère n'y est pas visible.
Légèrement plus au nord, près d'Avesnes-sur-Helpe, la Formation d'Etrœungt affleure encore dans la carrière Godin, anciennement carrière Bocahut (Fig. 1) d'abord au sud de la D 962 (flanc nord du synclinal d'Avesnelles) puis au nord de cette même départementale (flanc sud du synclinal d'Avesnes-sur-Helpe). Cette carrière a présenté au cours des dernières décennies et présente encore des affleurements particulièrement intéressants mais malheureusement temporaires.
Figure 1
Situation des deux coupes étudiées dans la région d'Etrœungt et d'Avesnes-sur-Helpe.
Location of the two studied sections in Etrœungt and Avesnes- sur-Helpe area.
Ces différents affleurements (carrière du Parcq, tranchée d'Avesnelles et carrière Godin) ont déjà fait l'objet de plusieurs descriptions.
Tableau 1
Carrière du Parcq, Etrœungt | Tranchée d'Avesnelles | Carrière Godin, Avesnes-sur-Helpe |
Gosselet (1857, p. 365). Première description de la coupe. Gosselet (1888, p. 548-550). Reprise de la description de 1857. | ||
Carpentier (1913, p. 15-17). Reprise de la description de Gosselet. | ||
Sartenaer & Mamet (1964, Fig. 3). Colonne lothologique à partir de la description de Gosselet. | ||
Conil in Conil et al. (1964, p. 19-21, Fig. 3-4). Description. | Lys in Conil et al. (1964, p. 21-23, Pl.I,II). Description et corrélations. | |
Conil et al (1974). Reprise de la description de 1964. | ||
Mistiaen (1997, Fig. 2). Colonne lithologique de la série calcaire. | Mistiaen (1997, Fig. 3). Colonne lithologique de la série calcaire. | |
Mamet & Préat (2003, Fig. 2). |
Les corrélations entre ces différentes coupes s'avèrent toutefois particulièrement difficiles à établir si l'on se base sur la lithologie, voire même sur la distribution des faunes. Notons qu'il existe encore d'autres affleurements, mais très limités : Solre-le-Château, Sains-du-Nord, Cloussy etc. dont la plupart, ont disparu (Fig. 2). Enfin il convient de signaler que, plus récemment, un néostratotype de la limite Formation d'Etrœungt / Formation d'Hastière a été proposé par Hance & Poty (2006, Fig. 2, 3) à Anseremme, en Belgique.
2) Objectif du présent travail
L'objectif du présent travail est :
- De faire le point sur les différents affleurements du Calcaire d'Etrœungt en Avesnois, leurs intérêts respectifs, leurs déficiences et d'en présenter des colonnes lithologiques détaillées, cohérentes et comparatives. Cette étude est focalisée, dans un premier temps, sur :
- coupe de la carrière du Parcq (coupe historique),
- la coupe de la tranchée de voie ferrée d'Avesnelles.
Les coupes de la carrière Godin, à Avesnes-sur-Helpe, feront l'objet d'une autre publication. - D'intégrer dans les coupes décrites le maximum d'informations déjà disponibles dans la littérature (corrélations avec les travaux de Gosselet, de Conil et al., de Sartenaer et al.) ou résultant de nombreuses observations et données non encore publiées, recueillies lors de plusieurs missions sur le terrain au cours de ces dernières décennies, par Denise Brice, Céline Brousse, Jean-Marie Degardin, Claire Derycke, Xavier Devleeschouwer, Benoît Hubert, Amar Khatir, Bruno Milhau, Bruno Mistiaen, Bernard Mottequin, Jean-Pierre Nicollin, Jean-Claude Rohart, Edouard Poty, et Daniel Vachard, afin d'établir, autant que faire se peut, une base de données de la distribution des (macro)faunes dans les coupes concernées.
- De permettre par la suite des travaux détaillés, notamment en paléontologie et sédimentologie, établis sur une base commune.
II. — Situation géographique des affleurements
En Avesnois, le « Calcaire d'Etrœungt » est présent dans toute une série de synclinaux (Fig. 2) mais il est actuellement essentiellement accessible et observable, du sud vers le nord, dans les synclinaux :
- d'Etrœungt : coupe de la carrière du Parcq (flanc sud du synclinal),
- d'Avesnelles : coupe de la tranchée d'Avesnelles (flanc sud du synclinal) et coupe de la carrière Godin au sud de la D 962 (flanc nord du synclinal) ;
- d'Avesnes-sur-Helpe : coupe de la carrière Godin au nord de la D 962 (flanc sud du synclinal).
Si les affleurements des deux synclinaux d'Avesnes- sur-Helpe et d'Avesnelles sont actuellement distants géographiquement d'environ 2,5 kilomètres, par contre la distance actuelle qui sépare les synclinaux d'Etrœungt et d'Avesnelles, est de l'ordre de 7 kilomètres. Toutefois, compte tenu des déformations tectoniques, les distances lors du dépôt de ces sédiments étaient nettement plus importantes, sans doute deux à trois fois, voire plus.
Figure 2
Carte géologique schématique des affleurements du Strunien en Avesnois (d'après Delattre et al, 1967; Khatir, 1990).
Geological sketch with location of Strunian outcrops in Avesnois (from Delattre et al., 1967; Khatir, 1990).
III. — Description de la série visible dans les carrières du Parcq et Jean-Pierre
La colonne lithologique présentée est une synthèse de toute une série de levés effectués en plusieurs endroits du front de taille de la carrière du Parcq et latéralement, ainsi que dans la carrière Jean-Pierre (Fig. 3). La coupe principale, la plus complète, correspond à celle qui est située le plus à l'ouest. En partie envahies par la végétation, les coupes restent cependant accessibles et permettent les observations.
Figure 3
Détail des coupes levées dans les carrières du Parcq et Jean-Pierre à Etrœungt (d'après Sartenaer & Mamet, 1964).
Detail of the sections observed in theParcq and Jean-Pierre quarries at Etrœungt (after Sartenaer & Mamet, 1964).
Des corrélations sont établies ou reprises de travaux antérieurs avec les subdivisions proposées par Gosselet (1857, 1888), Conil (1964) et Sartenaer & Mamet (1964). La série (Fig. 4) peut se subdiviser en trois ensembles lithologiques successifs.
La partie inférieure, épaisse de 5,50 m environ, correspond aux bancs 1 à 12 de notre levé. Très calcaire et particulièrement riche en stromatopores massifs, elle semble pouvoir se corréler avec les trois premières subdivisions de Gosselet : Gros banc de dessous, Trois tems bancs et Banc de roche. Les termes qu'utilise Gosselet pour ces bancs et les suivants sont très descriptifs et leur signification est parfois difficile à comprendre, par ailleurs, comme il le souligne et comme l'ont rappelé plusieurs auteurs, les hauteurs des bancs sont approximatives. Cette partie inférieure se corrèle aussi avec la majeure partie de l'ensemble a reconnu par Conil (1964). Enfin les corrélations établies par Conil avec les subdivisions qu'il propose dans la coupe de la tranchée d'Avesnelles sont reprises (sommet de r et moitié inférieure de s).
Figure 4a
Figure 4b
Série stratigraphique des carrières du Parcq et Jean-Pierre.
[A] Corrélation avec les observations de Gosselet (1857).
[B] Corrélation avec les numéros de banc de Conil (1964 : niveaux 1 à 13 et 29 à 70) et les unités (r-s-t-u) reconnues par cet auteur dans la coupe de la tranchée d'Avesnelles.
[C] Succession lithologique reconnue et numérotation des bancs de ce travail.
[D] Localisation des numéros d'échantillons de la carrière du Parcq (AV-EP).
[E] Localisation des numéros d'échantillons de la carrière Jean-Pierre (AV-EJ).
[F] Répartition des principaux groupes de macrofaunes.
Stromatopores dendroîdes (Amphipora) ; Stromatopores lamellaires ; Stromatopores tabulaires et massifs ; Coraux Tabulés (Syringopores, Michelinides) ; Coraux Rugueux solitaires ; Gastropodes Capulidés ; Brachiopodes ; Trilobites.
Stratigraphic succession in the du Parcq and Jean-Pierre quarries.
[A] Correlation with the succession observed by Gosselet (1857).
[B] Correlation with the bed numeration by Conil (1964 ; beds 1 to 13 and 29 to 70) and the units (r-s-t-u) recognized by this author in the Avesnelles railway section.
[C] Lithological succession recognized in this paper and numeration of beds.
[D] Location of the sample numbers in the du Parcq quarry (AV-EP).
[E] Location of the sample numbers in the Jean-Pierre quarry (AV-EJ).
[F] Distribution of the main faunal groups in the section
Dendroid stromatoporoids (Amphipora) ; Lamellar stromatoporoids ; Tabular and massive stromatoporoids ; Tabulate corals (Syringoporids, Michelinids) ; Solitary Rugose corals ; Capulid Gastropods ; Brachiopods ; Trilobites
La partie moyenne, épaisse de 9,30 m environ, correspond aux bancs 13 à 52 de notre levé. Elle se caractérise par des bancs calcaires moins épais, de 10 à 25 cm, rarement plus, alternant avec des passées argileuses et schisteuses peu épaisses, le plus souvent de 5 à 10 cm. Elle correspond aux subdivisions suivantes de Gosselet : Onze bancs de dessus, Gros banc de dessus, Calcaire argileux et schistes calcarifères, Banc de Coœ, Banc à auges et Banc dur. Elle se corrèle avec le sommet de l'ensemble a et la totalité de l'ensemble b de Conil (1964). Elle correspond, d'après les corrélations établies par Conil, à la moitié supérieure de s et à la moitié inférieure de t dans la coupe d'Avesnelles.
La partie supérieure, épaisse de 10,30 m environ, correspond aux bancs 53 à 89 de notre levé. Il s'agit d'un ensemble où les bancs calcaires, toujours de taille décimétriques, sont encore présents mais où les passées argilo-schisteuses, plus épaisses, prédominent assez nettement. Elle correspond aux subdivisions suivantes de Gosselet : Huit bancs de plomb, Banc de Cremaille et Schistes. Elle se corrèle parfaitement avec l'ensemble c de Conil (1964) et correspond à la moitié supérieure de t et à une partie de u dans la coupe de la tranchée d'Avesnelles, d'après les corrélations de Conil.
Remarque. Il existe une différence d'interprétation dans les corrélations établies par Sartenaer & Mamet (1964) d'une part, Conil (1964) d'autre part, avec les premières observations de ces affleurements par Gosselet (1857, 1888). Pour Sartenaer & Mamet, la série décrite par Gosselet débute au-dessus des niveaux construits (biostrome de la base).
Pour Conil, « il est difficile de retrouver l'équivalent du biostrome à stromatopores (dans la description de Gosselet) » mais cet auteur le corrèle avec les bancs calcaires inférieurs qu'il décrit. Nos observations nous conduisent à adopter l'opinion de Conil (1964).
IV. — Description de la coupe de la tranchée d'Avesnelles
Dans la région d'Avesnelles, située à quelques 8 km au nord de celle d'Etrœungt, la quasi-totalité de ce calcaire est observable dans la coupe de la tranchée de chemin de fer d'Avesnelles.Cette coupe a fait l'objet d'une description détaillée (Lys & Conil, in Conil 1964, p. 21-23, Pl. I-II) et a d'ailleurs été choisie comme parastratotype du Calcaire d'Etrœungt par Conil et al. (1967). On y observe en effet le passage des Schistes de l'Epinette au Strunien schisteux, gréseux puis calcaire, mais le passage du Calcaire d'Etrœungt au Calcaire noir d'Avesnelles est masqué par un mur de soutènement.
La colonne lithologique (Fig. 5) reprend essentiellement les observations et les subdivisions établies par Conil (1964) avec positionnement des niveaux qui ont livré des (macro)faunes.
V. — Conclusion
A la suite de nos observations, il apparaît que les corrélations entre la coupe du Parcq et celle d'Avesnelles ne sont pas faciles, la lithologie diffère sensiblement. De plus la coupe de la tranchée d'Avesnelles apparaît nettement plus pauvre en faunes que la coupe de la carrière du Parcq ou encore que celles de la carrière Godin. Enfin la mise en sécurité des parois de cette coupe (grillage de protection contre les éboulements), gêne les observations et rend très difficile voire impossible l'échantillonnage. Pour ces raisons elle ne semble pas pouvoir convenir comme choix d'un parastratotype. Les coupes de la carrière Godin à Avesnes-sur- Helpe, qui feront l'objet d'une prochaine description, sont par contre très riches en faunes, mais comme il s'agit d'affleurements temporaires il est difficile de les proposer comme parastratotype. Un autre parastratotype pourrait être recherché dans l'une des coupes localisées en Belgique. Toutefois, il semble qu'il pourrait être très difficile de disposer d'une coupe complète, sans lacune au niveau de la limite dévono-carbonifère (Van Steenwintal, 1993).
Figure 5a
Figure 5b
Série stratigraphique de la coupe de la tranchée de voie ferrée d'Avesnelles.
[1] Subdivisions de Conil (1964).
[2] Succession lithologique et numérotation des bancs d'après Conil (1964).
[3] Localisation des numéros d'échantillons AV-AT.
[4] Répartition des principaux groupes de macrofaunes. Stromatopores dendroÏdes (Amphipora) ; Stromatopores lamellaires ; Stromatopores tabulaires et massifs ; Coraux Tabulés (Syringopores, Michelinides) ; Coraux Rugueux solitaires ; Gastropodes Capulidés ; Brachiopodes ; Trilobites
Stratigraphic succession of the Avesnelles railway trench.
[1] Subdivisions by Conil (1964).
[2] Lithological succession and bed numeration from Conil (1964).
[3] Location of the sample numbers AV-AT.
[4] Distribution of the main faunal groups in the section Dendroid stromatoporoids (Amphipora) ; Lamellar stromatoporoids ; Tabular and massive stromatoporoids ; Tabulate corals (Syringoporids, Michelinids) ; Solitary Rugose corals ; Capulid Gastropods ; Brachiopods ; Trilobites
Remerciements. — Nous tenons à remercier très vivement Monsieur Raphaël Dal Cortivo, dirigeant de l'unité Voie du Hainaut à Valenciennes, ainsi que son équipe, qui nous ont permis et sécurisé l'accès aux affleurements de la tranchée de voie ferrée d'Avesnelles. Nos remerciements s'adressent aussi à l'ensemble des personnes qui ont participé, au cours des dernières décennies, aux nombreuses missions de terrain effectuées en Avesnois : Céline Brousse, Jean-Marie Degardin, Pascal Deville, Claire Derycke, Xavier Devleeschouwer, Bruno Milhau, Jean–Claude Rohart et Daniel Vachard. Nous souhaitons enfin vivement remercier, pour leurs conseils et les remarques constructives et enrichissantes dont nous ont fait part, les différentes personnes qui ont relu cette note, Alain Blieck, Eric Groessens et Marie Legrand-Blain.